Lors d’un débat, vous êtes pris à partie par un contradicteur. Une joute verbale s’engage. Chacun campe sur ses positions. Qui gagnera les faveurs des spectateurs présents ? Bonnes pratiques pour prendre l’ascendant sur votre adversaire…Avec Clément Viktorovitch. Docteur en science politique, Clément est expert dans le domaine de l’influence.
Écouter, c’est gagner
Quand la tension monte, que les esprits s’échauffent, chacun est tenté de monopoliser la parole pour museler l’autre. Évitez ce piège. La solution du bon débatteur, au contraire, est contre-intuitive : il écoute d’abord. Nulle politesse dans cette manœuvre, votre silence est inquisiteur : il s’agit de se concentrer sur ce que dit votre adversaire afin de détecter la faille qu’il va vous servir sur un plateau ! Le défaut de l’orateur débutant consiste à ne pas écouter l’autre pour se focaliser sur ses propres répliques, impatient d’intervenir… au risque de n’être plus pertinent le moment venu. Pratiquez plutôt l’Aïkido rhétorique, utilisez la force de l’adversaire pour l’envoyer dans le décor !Exemple : relevez une exagération dans ses propos. « Non, la situation n’est pas « catastrophique », rappelons tous les progrès réalisés ces derniers mois ».
Priorité à l’image
Dans un débat, paradoxalement, la justesse des arguments est au fond assez secondaire. La plupart du temps il s’agit de convaincre un auditoire néophyte sur le sujet. Aussi, concentrez-vous sur l’image que vous renvoyez, et cherchez à influer sur celle de votre adversaire. C’est sur ce registre que se joue l’issue des grands débats politiques. Souvenez-vous de François Hollande et de la longue et fameuse anaphore « Moi, Président… ». Tandis qu’il s’affirme en leader, son opposant encaisse les coups, s’enfonce dans son fauteuil, cherche les journalistes du regard. Les images initiales des deux candidats basculent et s’inversent.
Quand le corps est de la partie
Votre adversaire est parti dans un long développement technique et soporifique sur sa vision des choses. Le débat s’enlise, l’auditoire s’ennuie… Sans rien dire, vous pouvez garder l’ascendant en utilisant le langage du corps. Une simple posture relâchée, la tête légèrement penchée ou tournée et vous rendez palpable l’ennui que le public ressent aussi. Lors d’un débat avec Jean Luc Mélenchon, Marine Le Pen refuse le débat et les « insultes » de son adversaire pour se mettre à lire son journal. Malheureusement pour elle, elle ne tiendra pas la distance et perdra le débat.
S’intéresser à l’auditoire plus qu’à l’adversaire
Vous avez votre avis, votre contradicteur a le sien. De vous deux, personne ne va convaincre l’autre. Alors, à quoi sert le débat ? À convaincre ceux qui vous écoutent, pardi ! Ne vous trompez pas : votre cible, ce sont les auditeurs ! Le bon débatteur sait gérer non seulement le dialogue avec son adversaire, mais aussi son rapport au public avec lequel il reste connecté. L’objectif est que celui-ci vous trouve le plus sympathique. Y compris quand vous n’êtes pas tendre avec votre adversaire. Lors du célèbre débat de premier tour entre Fabius et Chirac, ce dernier sent que son adversaire se discrédite à force d’agressivité. Il finit par le traiter de « roquet », cristallisant en un mot ce que beaucoup de spectateurs pensaient tout bas.
Surfer sur les émotions
Cette pratique découle directement de votre sens du public. Cherchez à susciter des émotions positives. Rien de mieux à cet égard que de mettre les rieurs de votre côté. Un orateur tel que Daniel Cohn-Bendit est passé maître en la matière. Mais bien d’autres émotions peuvent être mobilisées : colère, empathie, etc. Surfer sur les émotions s’avère encore plus payant en riposte à une attaque. Souvenez-vous de la réponse de François Mitterrand à Jacques Chirac : « Vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier Ministre ». Elle était cruellement drôle, ce qui eut un effet dévastateur : le débat était terminé avant même d’avoir commencé.
Savoir perdre une bataille pour gagner la guerre
À certains moments, vous pouvez perdre l’avantage. Ne vous enfermez pas dans une argumentation stérile. Un débat contradictoire se déroule comme une partie de Go. Lâchez le terrain miné et déportez le jeu sur une autre partie du plateau. La phrase pivot pour vous en sortir: « Tout cela est intéressant, mais l’essentiel n’est pas là ». Vous prendrez le dessus plus tard, sur un autre sujet. Vous profiterez même, ainsi, de l’« effet de récence » : le dernier qui a (bien) parlé est souvent celui qui reste dans les esprits.